10 février 2022

Le « ON » qui tue les relations

Mardi soir, j’ai participé à un atelier de Travail qui relie sur Zoom. J’étais curieuse de voir ce que ça pouvait m’apporter sur un format court et en ligne. Et c’était une chouette expérience, qui m’a pas mal fait gamberger sur ce qui favorise (ou pas) le lien entre humain·es et le sentiment d’être écouté·e.

Dans ce genre d’ateliers, la personne qui facilite commence toujours par poser un cadre, essentiel au confort et à la sécurité dans le groupe. Parmi les règles de la soirée, une me tenait particulièrement à cœur : parler de son expérience, pas de celle des autres. Partager en utilisant le « je », et pas le « tu », le « on », ou encore « les gens ». Bref, parler pour soi. C’est une règle qui me semble essentielle, et que je pose toujours dans mes groupes de coaching et dans mes ateliers de facilitation.

Pourquoi ? Tu vas voir pourquoi.

Parler pour soi vs. généraliser

L’atelier commence avec la première étape de la spirale : s’ancrer dans la gratitude. Chacun·e prend quelques instants pour sentir en quoi iel est heureux·se d’être vivant·e. Puis la facilitatrice nous répartit en sous-groupe pour qu’on échange nos réponses. La personne face à moi prend la parole, exprime ses difficultés avec la situation qui dure depuis 2 ans.

J’observe que j’ai du mal à accueillir ce qu’elle dit. Je me sens fermée, presque agacée. Au début, je pense que c’est parce qu’elle ne répond pas à la question de départ, à propos de la gratitude. Puis je réalise que ce n’est pas la vraie raison. Ce n’est pas son ressenti qui me crispe (il est ce qu’il est) : c’est qu’elle le généralise.

  • « C’est difficile de se sentir bien aujourd’hui quand TU télétravailles toute la semaine… »
  • « LES GENS attendent que les choses redeviennent comme avant… »
  • « ON en a tellement marre de la situation… »

Bien sûr elle me parle d’elle, de ce qu’elle vit. Mais dans sa façon de l’exprimer, c’est comme si tout le monde vivait la même chose.

Et la réalité, c’est que… Non. Ce n’est pas du tout ce qui m’habite à ce moment. Je pourrais y reconnaître des moments de découragement, être dans la compassion pour ce qu’elle traverse. J’en ai envie, mais c’est comme si ce « on » me barrait la route. Je n’ai pas vraiment accès à elle… Juste à ses projections sur le monde.

Il suffit d’un « on » pour changer toute une discussion

Puis elle termine, et c’est à mon tour de partager ce pour quoi j’ai de la gratitude : je lui parle des promenades avec mon chien, des rayons du soleil qui nous chauffent la truffe, des premières fleurs de cerisier qui éclosent, du pépiement joyeux des oiseaux. Bref, de quelques plaisirs simples de ma journée.

Il nous reste un peu de temps alors on continue d’échanger. La personne rebondit sur ce que j’ai dit : « Oui, il faut qu’ON se raccroche à des petits bonheurs », etc.

Et à nouveau, j’observe qu’à l’intérieur de moi ça se crispe. Quand elle reprend mes propos en les généralisant et en les transformant en injonctions, je me sens dépossédée de mon vécu. Pas écoutée dans mon partage. Je ne suis pas là pour donner la recette du bonheur : juste pour partager mon ressenti.

J’ai envie de lui dire, mais je ne trouve pas les mots. J’ai l’impression d’être la reloue de service.

En t’écrivant ce billet je réalise que j’aurais pu lui dire exactement comme ça. En assumant mon ressenti, plutôt qu’en me-crispant-sur-la-règle-qui-est-de-parler-en-JE-et-pas-en-ON. (Coucou le perfectionnisme.)

L’humilité n’est pas ce que l’on croit

J’espère que tu l’as compris, mon intention n’est absolument pas de critiquer cette personne (ni aucune autre d’ailleurs), ni de monter un syndicat contre le on.

La généralisation est parfois utile, et difficilement évitable (j’en fais aussi dans ce billet). L’emploi du on également.

J’ai juste envie d’attirer ton attention sur l’impact de ce pronom sur les relations. Et notamment dans les discussions où des vécus s’expriment (c’est-à-dire la quasi-totalité des discussions, en fait).

Je crois que la société nous enseigne une espèce de fausse humilité. On nous dit que parler de soi, c’est mal, alors pour montrer qu’on se préoccupe des autres et pas uniquement de notre nombril, on recouvre notre vécu de généralités. (Et tout ceci est majoritairement inconscient, as always.)

Sauf que… Quand il s’agit de ressentis, pour qui puis-je parler, si ce n’est pour moi ? Personne.

Quelle expérience autre que le mienne puis-je partager ? Aucune.

Qui peut prétendre savoir ce que vit sa sœur, son voisin ou le-connard-en-commentaire ? Again, personne.

La véritable humilité, à mon sens, c’est celle-ci : reconnaître la subjectivité de mon expérience et l’assumer telle quelle.

Postuler que mes ressentis sont vrais pour autrui, ce n’est pas de l’attention aux autres. C’est de la projection. Et c’est parce qu’on passe notre temps à spéculer sur ce que vit l’autre, plutôt qu’à demander et écouter, que les relations humaines sont si compliquées.

Plus c’est personnel, plus c’est universel

Le vécu de chacun·e est par essence personnel, intime, singulier. C’est quand il est exprimé et accueilli tel quel qu’il peut rencontrer des résonances et toucher à quelque chose d’universel.

Moi, je m’en fous de tes croyances sur ce que vivent les autres. Je veux savoir ce que tu vis, ce qui est vrai pour toi. Parce que 90% du temps, je vais m’y reconnaître. Et 100% du temps je vais t’aimer pour l’humain·e que tu es.

Quand chacun·e assume la responsabilité de ce qu’iel vit, ça crée les conditions collectives pour se sentir écouté·e, considéré·e et relié·e. Même si les vécus diffèrent dans l’instant. (Surtout s’ils diffèrent, en fait.)

J’ai cette phrase accrochée au-dessus de mon bureau, qui m’est venue un jour où je complexais de raconter ma vie dans mes newsletters : « Je te parle de moi parce que ça te parle de toi. » Pas tout le temps, pas complètement. Évidemment. Mais plus j’assume de te partager mon expérience et mes ressentis, plus tu es libre de t’y reconnaître (ou pas), de t’en servir (ou pas)… Bref, de te l’approprier. Et pas de le recevoir comme une injonction à ne pas être qui tu es.

Parler pour soi pour de meilleures relations

Je suis convaincue que pour de meilleures relations et de meilleures collaborations, nous avons besoin d’un rapport sain au soi. De lui redonner sa juste place. Vaste chantier, je sais…

Bien sûr, il n’y a pas que soi qui compte. Mais c’est l’unique espace depuis lequel je peux parler.

Or tu remarqueras qu’on reçoit exactement les croyances inverses : d’un côté, nos modes de vie encouragent l’individualisme et l’égocentrisme, et de l’autre, l’individu est constamment nié dans ce qu’il vit et encouragé à se couper de lui-même.

Avec une telle schizophrénie, pas étonnant qu’on aie des difficultés à parler de soi et pour soi. C’est bien plus simple et habituel de lâcher des généralités sur les gens. (Au passage : les gens n’existent pas. C’est une projection de ton vécu et de tes croyances sur une forme indéfinie et vague… Qui souvent a bon dos.)

Assumer son expérience plutôt que de spéculer sur celle des autres, c’est un entraînement quotidien et patient, qui peut se faire de 1001 façons.

Le Travail qui relie est un processus précieux pour ça, vraiment. Il invite chacun·e à plonger dans ses ressentis les plus intimes, et s’iel le souhaite, à les partager comme tels. Il permet à tout le groupe de se relier depuis un espace d’écoute et de partage authentiques, plutôt que de considérations vagues et généralistes. C’est un puissant remède au sentiment de solitude et à la faible estime de soi.

Je suis repartie de cette soirée avec beaucoup de douceur à l’intérieur de moi. Et de la gratitude pour la personne qui m’a permis d’observer cette histoire de je et de on, ainsi pour la très chouette Lily Gros qui animait l’atelier.

Si tu décides de prêter attention à comment tu partages ton vécu, je suis curieuse de lire ce que ça change pour toi.


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6 Commentaires
  1. Scheeck

    Merci de ce partage qui me rassure dans ma démarche à amener les personnes que j’en côtoie à oser se dire ☺️.
    Ce que je rajouterai est d’amener , en commençant par soi par exprimer notre vulnérabilité qui crée un rebond pour que les interlocuteurs deviennent légitimes à faire de même .

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    • Anaelle

      En effet, on ne peut pas décider pour l’autre mais on peut commencer par exprimer sa propre vulnérabilité 🙂

      Réponse
  2. Cécile

    Bonjour, ça me parle aussi et je fais attention en général à dire « je » même si souvent je dois retomber dans le côté automatique aussi… Et quand je ne suis pas contente ou que j’ai quelque chose à exprimer j’essaie aussi de me focaliser sur le « je » et sur ce que je ressens au lieu d’accuser l’autre… merci de cet article !

    Réponse
    • Anaelle

      Oui, on est tous·tes super habitué·es à ça ! Et c’est pas grave. Mais des fois ça change vraiment la donne d’y faire attention 🙂

      Réponse
  3. Cerise

    Ce que tu dis dans cet article résonne vraiment pour moi. J’ai souvent ressenti cet inconfort ou agacement sans être capable de mettre des mots dessus.

    Merci !

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    • Anaelle

      Heureuse que ça te parle 🙂

      Réponse
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