15 juin 2021

Après quoi tu cours ? L’illusion de l’urgence

Il y a une citation de Jack London qui dit : « Ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage » (ou un truc du genre, ce qu’on trouve sur Internet est quand même très approximatif). C’est le genre de phrase qui fait bien sur une affiche ou un tableau Pinterest – mais le vivre dans sa chair n’est pas toujours une mince affaire. Concrètement, on n’est pas très habitué·es à profiter pleinement de ce grand voyage qu’est la vie. J’ai connu beaucoup de gens qui écrivaient Carpe Diem sur leur trousse, beaucoup moins qui étaient capables de vraiment apprécier l’instant présent. On a plutôt tendance à se référer sans cesse au passé, ou à se projeter non-stop dans l’avenir. Ou les deux, tiens.

Bien plus que de « cueillir le jour », on nous encourage à regarder fixement la destination : que ce soit la fin d’une tâche, d’un projet, ou encore les jalons socialement admis comme des étapes essentielles de la vie (être en couple, avoir un CDI, acheter une maison, avoir des enfants, etc.). Et on fait tout ça en entretenant l’illusion que c’est urgent d’y arriver, que quand on en sera là ou quand on obtiendra ça, on sera enfin heureux·se, on pourra enfin profiter. Et malheureusement… C’est pas vraiment comme ça que ça se passe.

Sentiment d’urgence et illusion de la ligne d’arrivée

Cette année, j’ai réalisé que chaque fois que je démarrais une tâche ou un projet (aussi anodins soient-ils) ou que je me fixais un objectif (grand ou petit), un sentiment d’urgence apparaissait. « Je termine ce truc, on se reposera après. »

Et est-ce qu’on se repose vraiment après ? Je te le donne en mille : non, on se trouve un autre truc à faire et on continue de se raconter l’histoire que « juste après ça je me détendrai ».

Dis moi :

  • Est-ce que toi aussi, tu passes souvent tes journées en mode sous-marin, en attendant le soir / le weekend / les vacances / la retraite pour prendre soin de toi et profiter de ce qui est là ?
  • Est-ce qu’à chaque action ou projet que tu démarres, plus rien n’a d’importance sauf la ligne d’arrivée ?
  • Est-ce que tu as coutume de négliger ton bien-être quand tu prends un engagement (en lien avec le travail, des activités bénévoles, une demande d’un proche… peu importe en fait), à délaisser les activités ou personnes qui te font du bien pour d’abord honorer ce qui « doit » être fait ?

Honnêtement, c’est ce que j’étais habituée à faire. J’ai commencé l’écriture de mon livre dans cet état là, à bosser toujours plus pour avancer toujours moins – jusqu’à ce que j’en ai marre et que je décide d’arrêter de me torturer pour « vite finir ce truc ». Marre de passer des journées/semaines de merde dans l’optique d’une détente qui n’arrive jamais. Parce qu’en réalité, je suis prise dans l’illusion de l’urgence… Et elle n’a de fin que quand je le décide.

Arrêter de courir après rien

On va pas se mentir : je le fais encore parfois, je retombe dans l’urgence, la frénésie, le toujours plus. C’est un état qui peut durer quelques heures à quelques jours : je suis pas sortie du lit que j’élabore déjà une to-do list, je me lève fatiguée, stressée, courbaturée et à un moment je me dis : « Oups, j’ai recommencé à courir après rien ».

À chaque fois que j’en prends conscience, c’est l’occasion de me demander :

  1. Qu’est-ce qui compte VRAIMENT là maintenant ?
  2. Qu’est-ce qui va me permettre de profiter à la fois de la destination et du voyage ? (Plutôt que de foncer tête baissée vers le sommet au détriment de mon bien-être et au mépris de tout ce qu’il y a à vivre, là dans l’instant ?)

Étrangement, la réponse n’est jamais : « Bosser comme une chèvre sous ecsta jusqu’à 21h, puis gober 3 épisodes de Friends pour me détendre avant de me jeter dans mon lit et demain on recommence ! ».

Ce n’est pas non plus : « Téléphoner pendant le footing tout en promenant le chien, c’est-malin-c’est-3-en-1 comme ça j’ai réussi à tout caser sans profiter d’aucune activité ! »

La réalité reste la même, que tu t’affoles ou pas

Chaque fois que le sentiment d’urgence s’invite dans mon quotidien, je deviens obsédée par les trucs à faire, les objectifs à atteindre, les attentes à satisfaire… Et je rate complètement la vie qui passe, totalement indifférente à mon agitation.

Même si on se raconte l’histoire qu’il faut absolument tout faire, qu’on a pas le choix sinon le monde va s’écrouler… En fait le monde est royalement indifférent à tout ça.

La réalité ne change pas parce qu’on s’affole. Elle est juste plus pénible à vivre.

J’ai envie de te partager ce que Marion (première arrivée dans la team Révolution des tortues, je t’en reparle bientôt !) m’a écrit dans un mail où on définissait les conditions de notre collaboration : « Le mot « urgence » est banni de mon vocabulaire quotidien. J’ai regardé le film Apollo 13 il y a 3-4 semaines, pour le coup ils étaient vraiment dans la merde et ils n’ont jamais prononcé le mot urgence. Ça fait relativiser 2-3 trucs. » (Oui, Marion est emplie de sagesse.)

Bref. Ce que je voulais te dire dans ce billet, c’est que l’urgence est une illusion.

L’urgence et les obligations n’existent nulle part ailleurs que dans nos têtes. On vit dans une société angoissée et frénétique, une société de remplissage et d’optimisation de son temps (ce qui permet de le remplir un peu plus et donc de continuer à courir, quel merveilleux programme).

Et moi je suis fatiguée de courir. Fatiguée d’entretenir de la frustration, du stress, l’illusion qu’il manque quelque chose pour que je sois parfaitement heureuse.

La semaine dernière, j’ai donc pris une pause d’1h30 à 2h tous les midis, sans écrans, sans téléphone. Je me suis installée dans mon hamac, et parfois j’ai lu, parfois j’ai contemplé les oiseaux et les fleurs, parfois j’ai savouré mon café. Et parfois je n’ai RIEN fait. Absolument rien de rien.

Chaque matin, je prends le temps de méditer. Quand je vais faire un footing, je profite de la balade plutôt que tendre tout mon corps vers mon point d’arrivée. Je ne prends plus mon portable avec moi pour « optimiser » un temps d’attente ou de trajet. Parfois, je me souviens que je peux danser quand je veux, et pas seulement aux soirées. Parfois, je dessine ou je chante, juste parce que ça me fait plaisir. Parfois j’invite l’extraordinaire dans le quotidien, comme ça, juste pour profiter du miracle d’être en vie.

Et chaque fois que je prends ces temps-là, je me surprends à me sentir plus remplie par ces temps de ralentissement et de vide que par toute to-do list terminée ou objectifs atteints.

Passer de « je n’ai le temps de rien… » à « j’ai du temps pour RIEN », c’est tout un chemin.

Est-ce que toi aussi, tu as envie de l’explorer ? J’ai hâte de te lire en commentaire.

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12 Commentaires
  1. Sophie

    Ça fait quelque temps que j’explore ce sujet et j’avance… en prenant mon temps. Par étapes. Je suis d’abord revenue à l’essentiel, puis j’ai viré ce qui ne me correspond pas, ensuite ce qui ne me fait pas du bien. Ensuite j’ai arrêté de toujours regarder au loin et la ligne d’arrivée car comme tu le dis, on devient comme un hamster dans sa roue.
    J’aime bien structurer mon temps et être efficace dans ce que j’entreprends. Et c’est maintenant au service de ces moments où je me laisse porter. Pareil, parfois j’attends et je regarde autour de moi, j’écoute, sans portable et sans rien à lire.
    C’est long, comme un entraînement. Mais quelle liberté !!
    Merci une fois de plus pour cet éclairage et sa justesse 🙂

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  2. Marianne

    Super article comme toujours, mais celui ci en plus me touche particulièrement ! Un message qui fait énormément de bien mais qu’on entend pas souvent dans les médias, je me demande pourquoi ??? :p
    Effectivement, le monde s’arrête pas de tourner et c’est bien de s’en rappeler ! Merci !!! (j’en ai les larmes aux yeux tellement ça me touche aujourd’hui ^^)

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  3. Vero NIVA

    Ça me parle tellement, et en même temps j’ai l’impression d’être face à un gouffre : je sais que je dois aller de l’autre côté, que je dois arriver à marcher au lieu de courrir, profiter du présent… mais tout ça me semble tellement impossible, irréalisable, utopique…..
    Je vais relire cet article et les précédents régulièrement, peut être que petit à petit, je vais trouver le moyen !
    Merci de me montrer qu’il y a une autre voie possible…..

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  4. Nicole

    Bonjour Anaëlle et merci pour tes textes si frais, si vrais, si légers et profonds a la fois.. et si joliment tournés.
    Après 2 divorces, 2 enfants et..la retraite j’ai arrêté de vouloir rentrer dans les cases. J’ai enfin compris que je n’avais pas envie de vivre seule mais PAS FORCEMENT en couple. Je suis donc ma sadhana en restant en éveil de ceux qui pourraient m’accompagner. Au plaisir de t’en dire plus

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  5. GRANET

    Merci Anaëlle pour ce texte qui reflète tout à fait l’état d’esprit dans lequel j’étais et suis encore parfois. Mais depuis quelques temps, j’apprends moi aussi à prendre le temps de rien, à profiter plus du voyage que de la destination et cela me fait grand bien. J’ai rêvé que le confinement nous oblige tous à entrer dans cet état d’esprit, mais malheureusement la fuite en avant continue.
    Soyons donc plus nombreux à dire stop, et je crois que tout le monde sera plus heureux!
    Encore merci

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  6. Milie

    Merci Anaëlle !
    En lisant cet article, j’ai eu l’impression de lire une description de moi ! Ce qui est positif, c’est que ça me fait un joli petit déclic, et bonus, ça n’a pas l’air incurable mais je suis une enfant « dépêche-toi » (entre autres !!!), j’ai entendu toute mon enfance « et c’est toujours la même qu’on attend !!! » et je finissais toujours mes repas seule. Voilà le résultat ☺ Je vais de ce pas mettre le mode pause !

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  7. Caroline

    Chère Anaëlle, ô que je me suis sentie concernée par ton article, moi l’accro aux to-do-list et qui ai raté ma bonne résolution 2020 qui était « Ne plus dire  » j’ai pas le temps! ». (Véridique).
    Encore bravo et merci pour ton écriture si juste et agréable (moi aussi c’est la seule newsletter que je lis!)
    Tes réflexions me font penser à un passage court mais essentiel du bouquin « le big humain » de Sébastien Bohler. Ce dernier y explique que pour essayer de desintoxiquer nos cerveaux de primates surévolués dopés aux plaisirs immediats et faciles, on peut tenter l’expérience du grain de raisin… (en gros regarder et machouiller le plus longtemps possible un raisin sec… pleine conscience etc.).
    Alors sur le quoi faire, je suis tout à fait d’accord avec toi sur le lâcher prise. Les quelques fois où je m »offre du rien, ou une balade en forêt ou un bouquin avec mon café, j’ai l’impression de vivre pleinement le moment présent… et pourtant ! Non seulement ce moment passe trop vite (sensation de « encoooore ! j’en n’ai pas eu assez ») mais en plus après ça la frénésie de l’urgence me reprend en mode « je suis encore plus en retard sur ce que j’ai à faire! ». Et je me rajoute du stress après coup. C’est grave docteur ?? 😉

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  8. Laure Busson

    Cet émail, tombe a point nommé pour moi ! Je cours après rien depuis trop longtemps. Je suis épuisée, a la limite de la dépression …
    Merci pour ce billet qui a profondement résonné en moi ,je vais suivre ton conseil ,je vais profiter du moment présent, enfin essayer. J’espère arriver à lâcher prise .
    Merci

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  9. GHERARDI

    Oui, complètement, moi je suis une tortue un escargot, c’est le reproche qui me donnent souvent les gens car il faut se dépêcher et donc je pensait pendant longtemps que il y avait quelque chose de mal en moi de fois ils pensent que j’étais comme ça car je suis végétarienne donc « pas d’Energie » lol, mais dernièrement je trouve que je suis comme ça et suis fier de me découvrir en heureuse escargot qui profit du temps et qui mets du temps pour faire ses choses car quand j’essaie de aller au rythme de tout le monde ça me stresse ça me rende énervé, et je deviens une copie de moi même, j’aimerais pouvoir profiter du « voyage » à chaque moment mais dans une vie arrangé a l’horloge c’est un peu compliqué.

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  10. Doherty-Bigara

    C’est un plaisir de te lire, Anaelle. Je prends toujours le temps de te lire et sans courir (alleeezz faut que j’ai lu toutes mes newsletters !!) 😀
    ça fait beaucoup de bien de réaliser, que ma belle vie, c’est maintenant.

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  11. Alain PAUL

    D’accord pour le diagnostic, Dr Anaelle, mais quel est le traitement pour sortir de cette pointe la plus subtile de la souffrance ?

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  12. Alain PAUL

    Pour ma part, je me contente de suivre cette expression du maître tibétain Chögyam Trungpa : « le chemin, c’est le but »

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